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La bonté d’une enseignante a tout changé pour l’actrice Karen Robinson.
De Richard Ouzounian
Photos : Ian Watson/CBC; FOURNIE PAR Phyllis Jones
Si vous aimez regarder les comédies sur la chaîne télévisée de la CBC, vous aimez forcément Karen Robinson. Pendant les six saisons de Schitt’s Creek, l’interprète primée a personnifié l’insolente conseillère municipale Ronnie Lee, dont les regards furieux ne laissaient personne indifférent. On peut maintenant la voir incarner le personnage de l’inspectrice Edwina Shanks, une patronne impitoyable dans Pretty Hard Cases.
«C’est une série de rêve! lance-t-elle avec son rire percutant bien à elle. Une distribution géniale et des textes délicieux. Tout ce que j’ai à faire, c’est d’arriver à l’heure bien habillée.»
L’actrice a le vent dans les voiles en ce moment, résultat d’une longue et fructueuse carrière. Elle a travaillé fort des décennies durant, et cela a porté ses fruits : elle a récolté des honneurs pour son jeu au théâtre d’un bout à l’autre du pays. Elle a également décroché un prix Écrans canadiens en 2019 pour sa performance dans la série télévisée Mary Kills People.
L’actrice dégage une grande assurance, mais elle vous dira bien qu’elle ne l’a pas gagnée grâce aux multiples rôles qu’elle a joués ni aux nombreux prix qu’on lui a décernés. Sa confiance en elle, elle la doit à Phyllis Jones, son enseignante de géographie de 9e année à la Meadowbrook High School de Kingston, en Jamaïque, qui lui a aussi enseigné la 10e et la 11e année, ce qui l’a préparée pour l’épreuve finale du Caribbean Examinations Council.
«Pour changer une vie, tout ce qu’il faut, c’est une personne qui vous regarde dans les yeux en souriant et qui vous accepte comme vous êtes», dit l’actrice. Ce n’est pas que la petite Karen était timide, loin de là. Cadette d’une famille de quatre enfants, elle a su très tôt qu’elle aimait jouer la comédie. C’est en riant qu’elle raconte ses premiers pas sur scène, quand elle a chanté J’ai vu maman embrasser le père Noël à un concert de Noël à quatre ans : «J’étais si petite que j’ai dû monter sur un tabouret pour qu’on puisse me voir!»
Puis, à 13 ans, malgré son apparence de bravade, elle ressent des angoisses d’adolescente et cherche sa place. «Karen était le genre d’élève qu’on remarque, se rappelle son enseignante. Elle parlait fort et avait toujours le sourire. Mais je savais que, derrière cette façade, elle se sentait souvent seule.»
Karen Robinson décrit l’adolescente qu’elle était comme une jeune fille étrange et farouche qui a eu du mal à traverser sa puberté : «C’est une période tellement difficile. On ne contrôle pas les changements corporels, le volume de la voix ou le rythme cardiaque qui s’accélère à la vue du béguin de la semaine.» Son enseignante soupire en se rappelant son élève. «Que peut-on faire avec une enfant comme ça? On ne peut qu’être là pour elle.»
Et c’est bien ce que Phyllis Jones a fait. Pas seulement en classe, mais aussi – et surtout – chaque jour, à l’heure du diner. «Son bureau était près de ma classe-foyer, se rappelle l’actrice. Le midi, je me souviens que j’allais à son bureau sans même y penser.»
L’enseignante se souvient qu’un jour, en levant les yeux de son bureau, elle a vu une Karen tout sourire lancer un «Alloooooo, Madaaaaaame!» (Son imitation de la façon dont l’actrice allonge ses voyelles est franchement réussie!)
«Durant mon enfance, ma mère a passé énormément de temps à New York pour le travail, raconte Karen Robinson. Elle était infirmière en service privé et y restait sept mois par an.» C’était par nécessité économique, mais elle n’a jamais remis en question l’amour et le dévouement de sa mère pour la famille. «Mes parents étaient inlassablement dévoués. Ils ont fait en sorte que ça marche, et nous avons tous trouvé des moyens de nous en sortir.» Elle ajoute : «J’ai été extrêmement bien élevée par mon père et par les tantes et aides ménagères qui s’occupaient de nous, mais je n’ai pas profité de la présence de ma mère au quotidien. Cette absence a laissé un vide. Je n’ai pas de rancœur à ce sujet, mais je pense que j’ai grandi à la recherche de mères de remplacement.» En entendant les confidences de son ancienne élève, l’enseignante répond doucement : «Oh, je ne savais pas tout ça, à l’époque. Je savais qu’elle s’accrochait beaucoup à moi. Elle venait dans mon bureau et elle s’y sentait bien.»
L’actrice parle du pouvoir qu’un enseignant peut exercer sur un adolescent impressionnable. «Quand j’étais adolescente, tous les adultes semblaient incroyablement libres. Ils n’avaient pas d’uniforme scolaire à porter, ils avaient de l’argent disponible. Je les mettais en quelque sorte sur un piédestal, et il flottait sur eux un nuage de mystère, avec toutes ces connaissances.»
«Mme Jones m’a consacré du temps. Elle avait le sens de l’humour, de l’énergie et de la patience, des atouts indispensables quand on avait affaire à moi. Je n’étais pas une mauvaise fille ni une rebelle, mais j’avais besoin d’attention.»
Mais, en fin de compte, ce n’est pas de ça que se souvient la jeune Karen à propos de son enseignante. «Ce qui m’a marquée, c’est sa gentillesse. Et il m’a fallu toutes ces années pour réaliser à quel point cette qualité peut être puissante.» L’enseignante est touchée d’avoir eu cette influence sur son élève, mais elle est aussi surprise. «Ce dont je me souviens, c’est que Karen regardait autour d’elle dans mon bureau, prenait des livres et me posait simplement des questions.»
«Mme Jones m’a consacré du temps, explique l’actrice. Elle avait aussi le sens de l’humour, de l’énergie et de la patience, des atouts indispensables quand on avait affaire à moi. Je n’étais pas une mauvaise fille ni une rebelle, mais j’avais besoin d’attention. Ma puberté a été rude. Mes membres ne grandissaient pas au même rythme, mes cheveux étaient indomptables. Je ne me sentais à ma place nulle part : je ne faisais pas partie des populaires ni des intellos ou des technos. C’était un exploit herculéen de s’occuper de moi.»
Les souvenirs de son enseignante diffèrent. «Si elle dérangeait en classe, je me disais simplement “Oh, c’est Karen.” Elle était toujours dramatique et, lorsque j’essayais de la réprimander, elle insistait : “Mais Madaaaaaaame, c’est la véritééééééé!” Elle parlait toujours très fort, mais il était impossible de ne pas l’aimer.»
Côté pédagogie, l’actrice se souvient que son enseignante connaissait sa matière sur le bout des doigts, qu’elle était une excellente communicatrice et qu’elle avait un sens de l’humour incroyable. «Nous n’avions qu’à écouter pour apprendre.»
Quant à Mme Jones, elle décrit son ancienne élève comme une jeune fille qui aimait manier les mots. «Elle réussissait toujours bien, mais je continuais à l’encourager à faire mieux.»
Les deux femmes sont restées en contact au fil des années. L’actrice tient parfois l’enseignante au courant quand il est possible de voir une de ses nouvelles performances à la télévision. Et lorsqu’elle a l’occasion de les voir, Mme Jones s’en réjouit : «C’est un plaisir absolu.»
Karen Robinson est même retournée une fois à la Meadowbrook High School pour recevoir un honneur, et Phyllis Jones l’a invitée dans sa classe. Karen a dit aux élèves : «Je fais ce que j’ai toujours fait depuis l’enfance, mais je suis maintenant payée pour le faire!»
L’enseignante se souvient que les élèves avaient demandé à leur invitée ce qui faisait son succès. Mme Jones relate la réponse en offrant sa meilleure imitation de l’actrice : «C’est mon visaaaaaaaage qui m’a donné tous les rôôôôôles.» Elle ajoute plus sérieusement que Karen Robinson est une personne qui ne s’arrête pas lorsqu’elle se fait dire non.
Pour conclure l’entretien, l’actrice réfléchit un instant afin de résumer ses pensées au sujet de son ancienne enseignante. «Mme Jones m’a appris tellement de choses que je ne me souviens pas d’un conseil en particulier. Si, attendez!» Elle explique que, quelle que fût la situation, quel que fût le problème ou la défaite pour son cœur d’adolescente, Mme Jones lui donnait toujours le sentiment rassurant que le lendemain serait un jour nouveau.
Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).