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De Teddy Katz
Illustrations : Nazario Graziano/AgencyRush.com
La crise sanitaire de la COVID-19 a complètement bouleversé la vie du personnel enseignant et des élèves. La pandémie souligne doublement les compétences qui s’avèreront nécessaires pour réussir sur les plans personnel et professionnel : l’autonomie, la créativité, la pensée critique, la capacité de se réinventer et la résilience.
Quatre enseignants agréés de l’Ontario, des personnes particulièrement novatrices, transmettent leur façon bien à eux d’enseigner ces compétences.
Dans sa classe de la Glenforest Secondary School, à Mississauga, en Ontario, une enseignante de sciences primée réfléchit, et sa pensée l’amène bien au-delà de sa matière.
«J’essaie toujours de trouver des façons créatives de rendre mon enseignement mémorable. Quand je pense à mes études secondaires, j’ai oublié ce que j’ai appris, avoue en riant Diana Wang-Martin, EAO. Mais je me souviens de mes projets et des expériences.»
En 2018, Mme Wang-Martin a reçu le Prix du Premier ministre pour l’excellence dans l’enseignement grâce aux méthodes pédagogiques innovantes dont elle fait la promotion depuis le début de sa carrière, il y a 17 ans.
L’enseignante opte souvent pour des expériences pratiques uniques qui aident ses élèves à développer les compétences dont ils ont besoin pour réussir.
Un exemple concret : un de ses projets de l’an dernier. Les élèves de 9e année du programme de baccalauréat international de son école, inscrits aux cours de sciences et de français, ont participé à une activité interdisciplinaire. Jumelés à des élèves en immersion française d’une école élémentaire à proximité, ils devaient leur enseigner une leçon scientifique bilingue.
Les élèves de l’école élémentaire ont passé une journée à l’école secondaire et les adolescents ont pu mettre leurs leçons à l’essai auprès d’eux. Les ados ont ensuite peaufiné leurs leçons avant de créer un livre scientifique illustré pour enfants dont les personnages étaient inspirés de leurs élèves de l’élémentaire.
«Les projets comme celui-là ne permettent pas seulement d’enseigner les sciences; ils donnent la chance aux élèves de développer des compétences essentielles, explique Diana Wang-Martin. En travaillant ensemble ainsi qu’avec les enfants de l’élémentaire, ils construisent précisément leurs aptitudes en leadeurship, en collaboration et en communication.
«Très vite, ils se rendent compte que certaines de leurs leçons sont trop détaillées ou trop complexes, poursuit-elle. Sur-le-champ, ils doivent faire preuve de créativité pour rendre le contenu accessible à leurs apprenants.»
L’enseignante essaie maintenant de trouver le financement nécessaire à la publication du livre illustré : «On m’a dit que j’étais incapable de faire les choses modestement!»
Idem pour les programmes para-scolaires dont elle a la charge. Elle a contribué à la création d’un club de STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), qui a capté l’attention du premier ministre Justin Trudeau.
Sous son égide, un groupe d’élèves a organisé trois conférences gigantesques, dont l’une a attiré près de 1 800 élèves de partout au Canada, dans l’objectif de multiplier le nombre de jeunes intéressés par les STIM.
Une année, les élèves, qui avaient établi un partenariat avec une organisation, ont récolté environ 90 000 $ en parrainage et ont attiré 50 conférenciers, dont des leadeurs du domaine chez Microsoft, Siemens et General Motors.
Une autre année, les élèves ont même invité le premier ministre Trudeau. Comme il ne pouvait pas être présent, ils ont tenté de communiquer avec lui sur Twitter, encouragés par Mme Wang-Martin. Efforts récompensés : après quelques échanges avec le personnel du cabinet du premier ministre, ils ont été invités à Ottawa pour le rencontrer.
«Les enfants s’en souviendront toute leur vie. Moi aussi. De cette expérience, je crois qu’ils ont appris la notion de résilience. Quand on veut vraiment quelque chose et que l’on persiste, les choses se réalisent.»
Alors qu’il était enseignant depuis à peine quelques mois, Terrance Saunders, EAO, a été appelé au bureau de la direction de son école à Toronto, qui a l’un des taux de pauvreté infantile les plus élevés de la ville.
La directrice avait visité sa classe, où les élèves de 1re année faisaient des activités à tour de rôle, activités que M. Saunders était formé pour enseigner. Il n’a pas su quoi répondre quand elle lui a dit qu’elle était préoccupée. «Je ne suis pas certaine qu’il y ait beaucoup d’apprentissage ainsi, lui a-t-elle dit. Ils ont besoin de quelque chose de différent.»
Terrassé, le jeune enseignant était au bord des larmes. Mais ce fut un tournant. «Après cette rencontre, j’ai adapté mon enseignement à la réalité des enfants qui arrivent déjà marginalisés à l’école, raconte-t-il. La directrice savait qu’une stratégie pédagogique particulière était nécessaire pour leur montrer qu’ils pouvaient réussir.»
Au cours de ses 34 ans de carrière, l’enseignant a trouvé des façons novatrices de faire participer ses élèves, dont bon nombre ont grandi au sein d’une famille monoparentale.
En 2019, il a reçu un certificat de mérite dans le cadre des Prix du Premier ministre pour l’excellence dans l’enseignement grâce à la façon dont il a exploité le théâtre et la danse pour les jumeler aux langues et à la sociologie. Cette approche a aidé les élèves de la 6e à la 8e année, à qui il enseigne maintenant, à renforcer leur amour-propre et leur confiance en soi.
«J’ai constaté qu’ils avaient besoin qu’on ait de grandes attentes d’eux. Ils avaient besoin d’aide pour ne pas avoir peur de réussir, explique l’enseignant. Ils trainent le poids de l’insécurité, les séquelles d’un racisme insidieux et tous les stéréotypes de la société.»
Terrance Saunders enseigne à ses élèves la pensée critique et l’art de poser des questions difficiles. Il utilise une pédagogie et un cadre antioppressifs adaptés à la culture du milieu. Il propose des analyses d’évènements historiques déterminants en jetant un regard sur les groupes exclus et réduits au silence, soit des groupes auxquels les élèves peuvent s’identifier en raison de leurs propres expériences. L’enseignant espère que ces récits aident les jeunes à trouver leur propre voix.
Le point culminant de son travail? La pièce de théâtre annuelle. «On n’en fait pas, du Disney!», précise-t-il en riant.
L’année des célébrations du 150e anniversaire du Canada, la pièce avait exploré les récits traditionnels de la Confédération du point de vue des non-signataires de la Loi sur l’Amérique du Nord britannique.
L’enseignant a intégré des segments présentant les contributions souvent oubliées des soldats sikhs canadiens qui se sont battus pour le Canada, le 2e Bataillon de construction afro-canadien de 1916, la situation critique des jeunes Autochtones dans les pensionnats et le traitement des Canadiens d’origine chinoise pendant la Seconde Guerre mondiale.
Une autre pièce s’est intéressée à la vie de Michaëlle Jean lorsqu’elle est devenue la première personne noire nommée gouverneure générale. Les élèves ont effectué des recherches sur sa vie d’immigrante au Canada et en ont appris sur le racisme précoce qu’elle a subi. Ils ont monté une pièce de théâtre racontant son histoire, pièce à laquelle Mme Jean a d’ailleurs assisté. M. Saunders raconte que l’œuvre a ému aux larmes la principale intéressée. «Son histoire est vraiment bouleversante. La pièce a été une merveilleuse occasion de mettre en relief son chapeau de pédagogue. Sa nomination au poste de gouverneure générale est révélatrice de la valeur de l’éducation.»
L’enseignant avait choisi une élève musulmane pour incarner Michaëlle Jean. «Je voulais qu’une jeune musulmane de première génération portant un hijab puisse s’imaginer dans un rôle de leadeur.»
La mère de Terrance Saunders était son enseignante de 2e année alors qu’ils habitaient encore aux Bahamas. Il ne s’est jamais imaginé un futur d’enseignant, «mais il est certain que cette expérience m’a beaucoup touché parce que j’ai pu être témoin de l’empathie et de l’amour dont ma mère faisait preuve, pas seulement avec moi, mais avec tous les élèves». À 62 ans, l’enseignant peut dire qu’il a trouvé sa vocation. «C’est mon don. Un ami m’a dit récemment que j’enseignerai toujours à 90 ans.»
Ken Liddicoat, EAO, est l’exemple parfait pour montrer comment les élèves peuvent se réinventer. Et s’ils ajoutent de nouvelles cordes à leur arc, ils peuvent vraiment changer les choses.
M. Liddicoat travaillait en mécanique automobile depuis 16 ans quand, en 2007, un ami lui a conseillé de se tourner vers l’enseignement. Douze ans plus tard, en 2019, il recevait un prix Indspire pour sa contribution importante à la réussite des élèves autochtones.
«Nous marquons la vie de nos élèves. C’est très touchant.»
L’enseignant, qui n’est pas autochtone, travaille à la Dennis Franklin Cromarty High School, à Thunder Bay, en Ontario, une école privée autochtone desservant 24 communautés éloignées du Nord. La plupart des élèves s’y rendent en avion et sont hébergés en ville. L’objectif de l’école : enseigner la résilience, l’établissement d’objectifs, l’élimination des distractions et la fierté des racines autochtones.
Il y a six ans, Ken Liddicoat a dirigé une équipe qui a recueilli le financement nécessaire pour ensuite mettre en œuvre une école de métiers des Premières Nations à l’intérieur de l’école. Les salles de classe construites dans les années 1960 ont été complètement transformées en quatre ateliers de pointe pour l’enseignement de la technique de fabrication, de la technologie des transports et de l’art culinaire.
«Nous leur enseignons quantité d’habiletés fondamentales de grande valeur comme cuisiner, ou simplement connaitre le fonctionnement d’appareils et comment les réparer. Des compétences qui leur serviront dans n’importe quel domaine ou même de retour à la maison. Elles sont recherchées dans leurs communautés [du Nord], lesquelles ont besoin de cuisiniers, de menuisiers, d’entrepreneurs… Il y a un besoin criant de main-d’œuvre dans le secteur des métiers.»
Il indique que ces emplois sont précieux, la crise de la COVID-19 l’ayant démontré. «La pandémie a mis en lumière le caractère essentiel de beaucoup de métiers.»
M. Liddicoat mise sur l’apprentissage par projets; les élèves développent des compétences en utilisant leur imagination pour créer et résoudre des problèmes afin de construire un objet fonctionnel. L’un des projets préférés de ses élèves : la fabrication de guitares électriques.
L’an dernier, ses élèves en fabrication ont collaboré avec leurs camarades en construction pour bâtir des banquettes d’amitié en bois, que l’on trouve maintenant un peu partout à l’école. Les élèves en fabrication ont conçu l’ornement métallique estampé sur les banquettes en utilisant des syllabes oji-cries.
Tous les ans, l’un des moments préférés de Ken Liddicoat demeure le voyage scolaire, qui l’emmène dans l’une des 24 communautés d’origine des élèves afin de jouer au hockey et au ballon-balai. L’an dernier, un trajet de 18 heures les a conduits jusqu’aux Premières Nations de Sandy Lake, où l’enseignant a revu un ancien élève qui travaille maintenant comme superviseur de l’entretien à l’école.
«Ai-je exercé une influence directe sur son choix de carrière? Je l’ignore, mais je me réjouis de savoir que sa collectivité bénéficie des compétences qu’il a acquises à l’école.»
Venessa Poirier, EAO, est persuadée qu’il n’est jamais trop tôt pour enseigner l’autonomie et le pouvoir d’être maitre de ses propres apprentissages, et ce, même avant de savoir lire et écrire.
L’enseignante de 1re année travaille à l’école élémentaire catholique Lamoureux, à Ottawa, l’une des rares écoles utilisant une approche pédagogique de pointe : quelques heures chaque jour, les élèves sont responsables de leurs activités.
Toutes les deux semaines, elle indique à ses élèves les travaux à faire. Ils décident ensuite de l’ordre dans lequel ils veulent les réaliser et avancent à leur rythme.
Nommée «apprentissage personnalisé», cette approche transforme cette classe de 1re année en véritable fourmilière. Les élèves de 6 et 7 ans apprennent à réfléchir seuls en sillonnant la classe pour réunir leur feuille de travail et les outils dont ils ont besoin pour accomplir leurs travaux.
«Les élèves deviennent ainsi beaucoup plus responsables, observe l’enseignante. Ce type d’apprentissage les motive, car le fonctionnement est nouveau, différent.»
Venessa Poirier travaille aussi avec des ordinateurs et enseigne à ses élèves comment utiliser des applications pour réaliser certains projets.
Au début de l’année, elle invite des élèves de 5e et de 6e année dans sa classe pour montrer à ses élèves comment utiliser un ordinateur Chromebook pour la première fois. Parole de l’enseignante : il suffit d’une heure pour que ces enfants deviennent des experts. Encore plus impressionnant : leur réaction quand l’internet ne fonctionne pas ou quand ils ont oublié de recharger leur ordinateur et qu’ils doivent sortir papier et crayon. «Ils sont capables de s’adapter à différentes situations. En étant exposés à plusieurs façons d’enseigner, ils deviennent simplement plus résilients.»
Ces forces se sont d’autant plus révélées lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé. Nombre d’enfants de la province ont éprouvé des difficultés avec l’apprentissage en ligne, mais la classe de Venessa Poirier a pris le virage sans problème parce que les élèves utilisaient déjà la technologie.
Au moyen de l’enseignement en ligne, elle peut jongler avec différents niveaux d’apprentissage. «Je peux offrir de l’aide supplémentaire à un élève qui éprouve des difficultés et aller plus loin avec un élève qui réussit mieux», explique-t-elle.
L’enseignante, qui a adopté cette façon d’enseigner il y a huit ans, a changé depuis sa façon de présenter la nouvelle matière. En début de carrière, elle expliquait tout d’entrée de jeu. Aujourd’hui, son exposé d’introduction est court, puis elle laisse les élèves mener la discussion : «Tout commence avec leur point de vue et leurs observations. C’est une bonne façon de stimuler leur curiosité.»